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19 février 2018

SI J'OSE LIRE 2 : Héritage et héridité

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HERITAGE ET HEREDITE

Le goût de l'acquis est-il inné ? Formulons autrement : la personne qui possède un bien désire-t-elle, accroître ce bien acquis ?

 Au-delà, conforter la jouisssance de ce bien, nourrit-il l'expérience de la possession, l'envie d'accumuler encore et encore ? Pareil au furet de la comptine, cette question court sans cesse, de Crésus à Harpagon, de François d'Assises à Jean-Jacques Rousseau, de Gandhi à Johan August Sutter. Elle passe par ici, repasse par là, déchire les familles, fait se retourner les petites gens, par surprise, virevolter les défunts sous leurs pierres tombales et nourrit les notaires. Elle court les rues et les boulevards, elle traverse les ponts et les frontières, elle fourre les comédies et les chansons.

A propos de famille et de chanson, chacune et chacun sont tenus de choisir entre l'amusement, l'agacement, la consternation, la passion face à l'actualité des... Vous voyez ce que je veux dire ? Non. Mais si, voyons, cette querelle de clan, cette bataille entre coeur, pique, trèfle et carreau ! Allons, tout l'hexagone en tremble. Deux mois auparavant, on organisait le spectacle des funérailles paternelles avec le bon sens du symbole tragique, du geste populaire et le bel usage des lunettes noires. Désormais, les enfants du défunt s'mettent à chercher des sous dessous le matelas de la marâtre. C'est épatant, aurait dit l'homme de lettres mutin, à la voix aigrelette et au crayon en berne, l'immortel qui partit un poil juste avant. La succession de l'artiste biker deviendra-t-elle un feuilleton, une série croquignolesque ? 

Cendrillon

- Cendrillon, bonjour Cendrillon.

- Oui ?

- Dis-moi, lorsque ton pauvre papa se livre pieds et poings liés à sa seconde épouse, tu tombes bien bas, n'est-ce pas ?

 - Plus bas que cendres.

- Certes, certes. Je résume : d'abord sous la coupe de ton horrible belle-mère et de ses deux bécasses de filles, puis sous l'influence de ta chère marraine qui profite de ta confiance aveugle pour te faire avaler couleuvres et citrouilles, et, à la fin du compte...

- Du conte ?

- ... tu épouses ton bellâtre de prince, amoureux fétichiste de pantoufles ! Mariage réussi au regard du plus grand nombre puisque tu entres alors dans le patrimoine royal. Tu deviens une belle pièce de collection patriarcale.

- C'est une vision trop moderne, une remarque d'un lecteur de ton époque.

- Et tu entres aussi dans le patrimoine littéraire, ce fourre-tout culturel où flotte, surnage et se noie notre langue maternelle...

- Je ne suis pas sûre de tout comprendre.

- Moi non plus. Cependant, Cendrillon, franchement, et j'en arrive à l'essentiel de mon présent appel, à parler vrai, jamais l'indépendance ou le simple soupçon d'autonomie ne traverse ta jolie tête d'enfant sans caractère ? Toujours protégée ou soumise, tu restes dans le regret de ton papounet ?

- Mon cher papa ! Il ne s'est jamais bien remis du départ de celle qui reste la femme de son coeur, de sa vie...

- L'histoire ne le précise pas, mais il me semble qu'une fois casée dans les bras du prince, tu abandonnes sans regret ton molasson de père à sa mégère.

- Mon pauvre, pauvre papa.

- Qu'est-ce qu'il a bien pu lui trouver à cette colonelle, si ce n'est l'occasion d'assouvir ses faiblesses - certainement innées - panser son ennui et se soulager de ne plus devoir diriger sa vie et ses aléas, n'est-ce pas ?

- Il faut reconnaître à ma belle-mère un certain sens pragmatique des affaires, une maîtrise pour le gouvernement domestique et domanial de sa gentilhommière. 

- Le terme de maîtresse-femme convient donc. Je suis convaincu qu'en acquérant ou héritant quelque pouvoir et les attributs qui l'accompagnent, toute personne, homme ou femme, sera tentée d'adopter des réflexes autoritaires ; seule la volonté résistera à cette naturelle tendance. Quoi qu'il en soit, Cendrillon, une question encore... N'as-tu aucune honte, aucune gêne, aucun malaise à héberger tes demi-soeurs au château princier ? Selon Charles Perrault, tu les introduis à la Cour ? Je soupçonne que cette décision résulte d'une intention secrète, d'un profond désir - acquis dans l'expérience des humiliations passées - d'une revanche sans magie, sans douze coups d'horloge, sans musique de bal, sans pantoufle en écureuil...

- Suis-je si perverse à tes yeux ? Et la bonté du coeur ? Serais-tu un homme désenchanté ?

- Entendu. Je te laisse à ta naïveté ou à ta machination comme je laisse les héritiers du chanteur motocycliste de tout à l'heure à leurs ruminations, combines et tours. Aux échecs, il faut savoir roquer à temps.

- Motocycliste ? Il faut savoir... ro-quoi ?

- Motocycliste... vois-tu, une sorte de cavalier. Roquer, Cendrillon, r-o-q-u-e-r, avec un "q". Le roque permet, en un seul coup, de mettre la pièce essentielle à l'abri et de mobiliser un secours puissant. Trop tôt, c'est inutile, trop tard c'est une faute.

- Je ne joue qu'aux dames.

- Je m'en doutais. 

L'Ami intime

Héritage, hérédité, deux termes questionnant la transmission entre générations. Que reçoit, que conserve, que possède Marc en perdant son père dans L'Ami intime, le court roman de Catherine Rey. Une lecture toute en rondeur, de huis clos en scènes miniatures où les silences relèvent les paroles consenties. Un petit monde de boutiques encombrées d'objets et de souvenirs. Un père, veuf, au terme de son  existence chez un fils plaqué par son épouse. Un secret recouvre le passé tandis que les gens travaillent. Leurs ressources, seule manière de se mettre à l'abri du besoin, résultent dans le labeur quotidien, accompli avec le contentement de bien faire. Face à face, Marc, le fils, fonctionnaire et le père qui fut coutelier, commerçant déçu par le choix professionnel de son garçon qui se montre incapable de conserver sa  compagne. Le vieil homme meurt au bout d'un séjour en maison spécialisée. Marc, seul, se débarasse des ultimes objets dans la chambre qu'occupait son père. Il trouve le certificat de son propre baccalauréat, s'en étonne. Le reste, trois sacs et un carton, part à la décharge. Toute décharge publique reçoit détritus, gravats de démolition, bref, ce qui encombre. Se décharger, c'est se délester, enlever un poids, un fardeau. A charge et à décharge, dit-on lors d'une enquête criminelle ! Marc n'a pas l'intention de porter le passé de son père. Presque par hasard, le secret de ses parents lui parvient, à demi-mots. Le hasard se charge, lui, de susciter des remarquables coïncidences. Quiconque reste libre d'oublier un peu, beaucoup, sans folie... "J'oubliais que les gestes qu'il aurait dû avoir, il ne les avait pas eus. J'oubliais que les gestes que j'aurais dû avoir, je ne les avais pas eus. J'oubliai." 

Peut-être est-il des enfants qui, dans l'attente désespérée de gestes jamais venus, quêtent autre chose ou encore autre chose, voire aussi autre chose, par défaut ? La monnaie est d'argent lorsque le coeur est d'or.

comment j'ai vidé

Lydia Flem, au décès de sa mère, ne sait si elle range ou si elle vide la maison parentale. Le titre de son ouvrage tranche, il s'agit bien de vider : "Comment j'ai vidé la maison de mes parents". Cela rappelle le mode d'emploi : "Comment jouer du ukulélé" ou "Comment manager une équipe de hackers". Umberto Eco, lui, nomme "Comment voyager avec un poisson" un recueil de malicieux postiches et pastiches. Ce terme, comment, en début de titre, n'attend aucun point d'interrogation. Lydia Flem n'interroge pas, elle annonce de quelle manière elle entreprend le vidage du lieu où vécurent ses parents. Loin des vide-greniers d'automne ou de printemps, l'épreuve nous touche. Nous l'avons subie, nous la subirons. "Certes, il faudra trier, évaluer, classer, ordonner, emballer, mais aussi choisir, donner, jeter, vendre, garder, et aubout du compte - sauf si l'on vit de génération en génération dans un même lieu où s'accumulent les strates du passé - c'est bien de "vider" la maison de nos parents que nous sommes chargés." Elle confie la façon dont elle sort les objets qui peuplent le logement parental. Elle décrit cette activité et ses effets  dans sa chair, dans sa mémoire, dans son coeur, dans son être changé par l'épreuve. Quelle valeur accorder aux choses ? "Je suis pour les donations et contre les héritages. Il faudrait toujours faire un testament, désigner nommément ce qu’on souhaite léguer et à qui on le destine. La passation d’une génération à l’autre ne devrait pas aller de soi, elle devrait être un choix, une offrande, une transmission explicite, concertée, réfléchie, et non pas seulement une convention, un laisser-faire passif, une résignation. J’héritais, j’aurais aimé recevoir." Lydia Flem oppose deux verbes, léguer et hériter. Le legs sous-entend une volonté de transmettre un bien, une intention réfléchie : ceci, je te le donne, je te l'offre. L'héritage attribue par droit légal : ceci te revient, tu peux le prendre. Dans le chapitre "Le rien et le trop", piochons quelques mots : sacrilège, profanation, démembrement, dévastation, vandalisme, dépareiller, disperser, séparer, désordre, désolation... Lydia Flem est fille unique, tout le poids du vidage la rend "irrésolue, accablée, impuissante". Elle ouvre l'armoire de sa grand-mère, se souvient de sa tendresse. La garde-robe de sa mère, curieusement, retrouvera "une nouvelle vie" dans les mains d'une amie qui se les réappropie à sa guise. Les objets vivent plusieurs fois, affirme-t-on. Un temps pour retrouver, un temps pour oublier ; un temps pour acquérir, un temps pour offrir ; un temps pour aimer, un temps pour aimer encore. Et si Lydia Flem referme la porte de la maison, vide, elle ne place aucun point final à la dernière phrase. On vide mais on vit et on vivra en survivants. 

Peut-être est-il des enfants qui, dans l'attente désespérée d'un legs jamais venu, quêtent, par défaut, un bout d'héritage ? "J'ai ce que j'ai donné", telle fut la devise que Jean Giono choisit pour figurer dans son ex-libris. Sa fille, Sylvie Durbet-Giono, a vendu d'une part la maison de ses parents à la commune de Manosque et d'autre part les livres, meubles et autres objets à l'Association des amis de Jean Giono. La maison du Paraïs n'est pas vidée. 

L'Ami intime de Catherine Rey, Editions Le temps qu'il fait & Comment j'ai vidé la maison de mes parents de Lydia Flem, Editions du Seuil, Points.

LIBRE A CHACUNE ET A CHACUN, CI-DESSOUS, D'APPRECIER, DE COMMENTER OU DE PARTAGER.

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