GRIFFONNADE 353 : Incipit de Jean-Christophe
Jean-Christophe, roman d'initiation
Qui lit encore cet imposant pavé de 1500 pages ? Et pourtant, il contient des perles littéraires.
Ainsi au seuil dès son incipit Romain Rolland offre au lecteur un paragraphe de cinq phrases parfaitement construit. Imaginons un mouvement de caméra qui passerait de l'extérieur à l'intérieur de la maison en traversant la fenêtre...
"Le grondement du fleuve monte derrière la maison. La pluie bat les carreaux depuis le commencement du jour. Une buée d'eau ruisselle sur la vitre au coin fêlé. Le jour jaunâtre s'éteint. Il fait tiède et fade dans la chambre."
La phrase qui suit achève le mouvement : "Le nouveau-né s'agite dans son berceau." C'est Jean-Christophe, c'est le personnage principal, celui dont on va suivre à travers bien des épreuves l'apprentissage de compositeur résolument novateur, profondément habité par un génie des sens, passionnément.
Ce premier paragraphe, cet incipit, évoque des bruits, mieux des sons rythmés, une lueur, une couleur, une sensation corporelle, un goût. Cette somme de perceptions annonce les qualités de l'enfant, les dispositions du futur musicien, l'extrême sensibilité de cet homme. Chaque phrase ajoute un détail le plus simplement du monde : verbe, sujet, complément... Elles cadencent l'arrivée de Jean-Christophe exactement comme les premières mesures d'une oeuvre musicale. Avec des petites touches de délicatesse. Tous les thèmes peuvent désormais se développer.
Publié de 1904 à 1912, ce roman tente de dresser le tableau culturel et intellectuel de l'Europe avant qu'elle ne sombre dans la Grande Guerre.
Au terme de son roman, l'écrivain ajoute un "Adieu à Jean-Christophe" qui résume son intention puis interpelle la jeunesse : "... Hommes d'aujourd'hui, jeunes hommes, à votre tour ! Faites-vous de nos corps un marchepied, et allez de l'avant. Soyez plus grands et plus heureux que nous."
Comment l'entendons-nous à cette heure ?