GRIFFONNADE 152 : Épiphanie (1)
L'ADORATION DES MAGES SELON BRUEGEL
Comme pour La Chute d'Icare, l'événement que rapporte le titre n'occupe qu'une partie du tableau. La vie quotidienne l'emporte ; la lutte contre les rudesses hivernales constituent la prime préoccupation des gens.
On peut comprendre aussi que l'extraordinaire est à portée de notre regard mais que nos yeux sont aveugles. L'extraordinaire ? Ici, ces princes en visite dans une étable où accoucha une jeune inconnue.
Le mot grec epiphaneia signifie apparition, manifestation divine ; on parlera d'épiphanie (sans majuscule) quand Zeus visite visiblement les humains sous forme anthropomorphique ou symbolique.
L'Epiphanie (avec majuscule) est, dans l'Eglise catholique, une fête célébrée le 6 janvier, nommée communément jour des Rois. En grattant les usages populaires, voici une autre apparition : la survivance de rites païens (de paganus, paysan, qui est propre à la campagne, à l'agriculture), les fameuse saturnales où le solstice d'hiver suscitant des idées de renouvellement et de retournement.
Une épiphanie, depuis James Joyce, désigne un texte où apparaît l'âme subtile de l'image. A ne pas confondre avec le haïku proche de l'anamnèse, souvenir sans narrateur. Dans l'épiphanie, un oeil regarde une scène, ce regard sur le réel est doux et provoque la conscience d'une intériorité. L'écriture est alors dite à distance ; le texte sans bord, sans avant ni après (sans prétexte). L'auteur livre son for intérieur (for, comme dans forain, foreign, à savoir ce qui loin, étranger, inattendu), il interprète la scène vue de manière fortement personnelle tout en se maintenant à l'extérieur.
Le poème Une charogne de Baudelaire serait en quelque sorte une épiphanie.