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23 janvier 2018

SI J'OSE LIRE 1 : Le jardin nous habite

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Le jardin nous habite

Le jardin nous habite autant que nous l'habitons. De l’enfance à la vieillesse nos sens fleurissent au jardin. Nous méditons à l’ombre de jardins de curé et paradons au soleil des jardins de Versailles

Notre mythologie le crie, le jardin se mérite et nous perd. La fonction ancestrale de jardinier ne soumet pas la nature mais s’ajoute à sa générosité. Le jardinier crée par alliance. Le jardinier, l'amateur d’œillets, le planteur de salades, l'inventeur de labyrinthes, l'architecte paysagiste, tous engendrent des jardins merveilleux et extraordinaires où s’ordonnent les rais de lumière et les volutes de l’air. 

Le jardin s’urbanise. Les jardins ouvriers de l’abbé Lemire et les jardins familiaux du docteur Schreber s’effacent devant les jardins partagés. Le jardinage à la papa recule devant la permaculture, la grelinette expédie au rayon des antiquités la bêche de grand-mère. Des ruches bourdonnent sur les toits, des micro-jardins embellissent les balcons, des fermes verticales (hydroponiques ou aéroponiques) verdissent les immeubles de banques internationales et les tours de grands hôtels. Ce siècle sera-t-il agricole ?

La famine mondiale reculait depuis dix ans. A la faveur des conflits armés, des pluies excessives et des sécheresses répétées, de la confiscation des sols en faveur des cultures industrielles, elle redevient un fléau qui fauche les plus pauvres. Plus que jamais nous avons besoin de jardins d’agrément pour nous nourrir, de potagers pour éveiller nos pensées, de vergers pour nous enraciner. 

Unknown

 À dix pas d’Ambert, en Livradois, le Jardin pour la Terre d’Arlanc offre un abri de curiosité, invitant qui que ce soit à la pratique de la flânerie étonnée. On découvre une plante, on s’attarde pour mieux entendre, on reconnaît une essence, l’Histoire de la flore se raconte, la mémoire de l'arbre s’expose. Tout témoigne d’une culture, d’un monde en représentation. L’amateur de cartes n’en revient pas, il marche entre des continents de verdure, il s’étonne tant qu'il s’égare. Immobile alors, il se perd à jamais dans le rêve de voyages toujours recommencés. Dans ce lieu de l’éphémère, le vent paresse. Il s’éprend de senteurs connues et de couleurs dispersées, il se prend d’amitié et de complicité pour une nature généreuse et un homme créateur.

M. Trucmuche, lui, en oublierait l’essentiel : se mettre en scène. Car, initié par ses enfants, le bonhomme ne visite plus rien sans leur envoyer un selfie (qu’au Québec on nomme égoportrait). Il tend le bras, brandit la perche que lui offrit son petit-fils au dernier anniversaire, sourit et multiplie son image. Il fige, cristallise, accumule, enregistre, conserve, comptabilise son visage dans mille lieux remarquables et singuliers. Plus tard, hors saison, il oubliera de commémorer ses voyages extraordinaires.

Suggérons qu’au Jardin de la Terre, aux jardins de nos pères, aux jardins de nos coeurs, on lâche enfin nos jouets boulimiques chargés d’images toutes semblables, toutes insipides, toutes insignifiantes et qu’on pose notre regard ou, plus justement, qu’on le repose. Le reposer, le laisser au repos pour, ensuite, le poser à nouveau. Ainsi deviendrons-nous meilleurs photographes, plus capables de remarquer l’inhabituel, plus dignes de fixer la lumière, peut-être ?

Numériser

Les poètes descendent au jardin. Les romanciers s’y installent. Jean-Paul Goux, dans Les jardins de Morgante, aligne de longues phrases cadencées où s’entremêlent les voix des personnages. Ils sont quatre, un architecte, un photographe, un philosophe et un jardinier. Les voici, un an durant, condamnés à vivre ensemble dans la propriété de Morgante, avant sa destruction, pour inventorier le patrimoine préservé de cet écrivain disparu. Chaque soir ils se retrouvent et racontent leur découverte quotidienne dans l’immense demeure, dans l’immense jardin, dans l’immense bibliothèque. Chaque récit dénude son auteur. Les saisons s’incarnent. Saisons d’une année en marge, saisons des cycles passés. Les vies se tissent et l’amitié se délace.

À ouvrir sous une tonnelle, sous un arbre, sur un banc, le dos au mur, en tout cas à l’extérieur. Ne pas craindre de lire à haute voix pour bien mâcher la fibre syllabique des phrases. Mignonne, allons voir si la prose… émerveillement garanti. 

A31764

Gabrielle Van Zuylen lit les jardins. De l’Éden biblique au jardin en mouvement de Gilles Clément, elle traduit dans Tous les jardins du monde comment chaque société saisit la nature et l’arrange à sa culture. La mise en page comble les yeux. Tout est ordonné mais à l'envie on papillonne. Photo, caricature, peinture, plan, texte, chaque élément est choisi avec un soin exquis. On lit en passant, on cueille une date, on goûte un point de vue, on touche terre. Chaque relecture fait miel. Déclarons que ce livre est un jardin, sans vergogne. S’y plonger provoque le sentiment de trouver un lieu de retraite momentanée. 

À lire le soir, juste avant que le ciel s’étoile.

On mérite, je crois, la moindre de nos rencontres. Des livres comme des gens. 

Les jardins de Morgante, Jean-Paul Goux, Babel, Actes Sud & Tous les jardins du monde, Gabrielle Van Zuylen, Découvertes Gallimard.

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Commentaires
A
Formidable ! J'ajoute à la liste le délicieux ouvrage de Gilles Lapouge, "Atlas des Paradis perdus", qui vient de paraître chez Arthaud, accompagné des très belles cartes de Karin Doering-Froger. Les Paradis sont des jardins, chacun le sait, et l'ouvrage (malicieusement érudit) nous permet de choisir en toute connaissance de cause notre modèle d'Éternité.
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