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17 janvier 2020

GRIFFONNADE 374 : Le sentiment du regret

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Palimpseste, repentir, remords...

Avant l'existence de l'imprimerie, par souci d'économie, faute de mieux, on réutilisait des parchemins de plus ou moins mauvaise qualité que l'on grattait pour effacer la première écriture. Le copiste pouvait ensuite inscrire un nouveau texte. Ce document se nomme palimpseste.  

Dans le monde de la peinture on parle de repeint. Par mode, par économie et manque de supports, par bêtise morale, par décision abusive d'un restaurateur, on remanie à gogo par exemple à l'époque de la Contre-Réforme. On cache un sein ici, on ajoute là un personnage, on tente de réparer les dommages du vieillissement ou les dommages de repeints précédents.  

Dans son atelier, le peintre commet un repentir lorsqu'il modifie une partie de son tableau en cours d'éxécution, plutôt à un moment tardif. Il ne s'agit pas d'une hésitation ou d'une tentative propre à l'ébauche. Il corrige un contour, un trait, change ou ajoute une couleur, il cherche à améliorer le résultat de son travail, sa cohérence. Le repentir caché, se révèle par radiographie ou par photographie aux rayons infrarouges.

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Palimpseste, repentir, repeint... à chaque fois, une reprise. Les reprisages de nos mères et grands-mères réparaient les vêtements accrochés, les talons de chaussettes, le raccommodage restait un savoir-faire domestique nécessaire. Exercer l'activité de repriseuse, ouvrière habile à tirer l'aiguille, apportait trois-cinq sous... On raccommodait les vestes, les filets de pêche et on raccommodait aussi les vieux pots de faïence, même la jolie porcelaine. Raccommoder c'est aussi réconcilier. Raccommoder, réconcilier, repentir, trois termes avec le r initial du recommencement. Le retour à l'avant, avant que les choses se cassent, se déchirent, se rompent, se brisent, s'usent. Un retour avant le regret.

Regret, repentir, remords. Nous regrettons ce que nous n'avons plus car il nous est perdu. Nous regrettons un acte, une action, une parole en pensant, après coup, à ce qu'il aurait mieux fallu faire ou dire. Nous nous sommes trompés, nous avons commis une erreur. Si nous nous repentons d'une faute et exprimons notre souhait de ne plus la recommencer, notre repentir ajoute au regret une décision d'amendement, de réparation. La douleur du remords après l'accomplissement d'une faute mêle inquiétude et souffrance, elle peut tourmenter par supplice moral, par torture insupportable.

Dans les années 80, des parents accordèrent leur pardon au simple d'esprit qui avait massacré leur enfant. Imagine-t-on quelque pardon sans que le coupable n'éprouve en son for intérieur du regret, du repentir et du remords ?

La chanson de Georges Brassens, La princesse et le croque-notes, montre une jolie gamine amoureuse et affranchie prête à s'offrir à un musicien deux fois plus âgée qu'elle. Il refuse et s'enfuit ; fin de l'histoire : "...passant par là quelques vingt ans plus tard, il a le sentiment qu'il le regrette". Regret, petit pincement au coeur, simple déplaisir de ne pas avoir défloré la marguerite... Récit d'une demande en dépucelage non comblée. Prescription ! commenta René Fallet à la création de la chanson, soupçonnant que cette affaire ne soit un souvenir embelli d'un croque-notes ami et moustachu. Pourquoi prescription ? Où est l'infraction ? 

Les règles publiques, les lois républicaines établissent ce qui est permis et ce qui est interdit. Le comportement de tout un chacun et de toute une chacune est pesé à l'aune des  codes. La justice est humaine, strictement humaine. Prétendre en une quelconque justice divine ne résoud rien dans les affaires de ce monde.

En matière de création artistique, on esquisse, on brouillonne, on gomme, on rature, on efface, on gratte, on recommence. Et il appartient à tout artiste de regretter. De repentir en remords, tout se pardonne. Les oeuvres sont fragiles, les êtres de même. Pour illustrer cette notion de fragilité, voici un court conte entendu je ne sais plus où, raconté par je ne sais plus qui, un conte sans doute anonyme, peut-être arrangé à ma manière, car la mémoire laisse des failles pour que l'imagination s'y précipite...

Un menuisier s'attristait des quatre cents coups de son fils, jeune garçon au caractère hargneux et bagarreur. A l'auberge, à l'atelier, au marché on lui rapportait les méfaits du garnement. Un soir, au coucher, il appela le garçon près de son établi sur lequel était posé un cube de bois couvert sur les six faces de clous bien serrés les uns contre les autres. "Chaque fois que quelqu'un me parlait de toi, d'une de tes bêtises, de tes méfaits, j'ai planté un petit clou. Il est recouvert, comme tu le vois. Plus de place pour un nouveau clou." Silence du fils. Le père le laisse et gagne son lit. Avec la nuit, les songes... Après plusieurs mois, même scène près de l'établi. Le cube est posé mais débarrassé des clous. "Chaque fois qu'une personne s'étonnait de te voir plus calme, plus réfléchi, plus attentionné, plus agréable, plus attentif aux choses et aux gens, je prenais la paire de tenailles et enlevais un clou. Comme tu le vois, je les ai tous tirés. " Silence du fils. "C'est bien, vraiment, je suis très heureux. Et tu peux être fier de toi. Cependant, regarde, il restera toujours les trous. Une blessure même guérie laisse cicatrice."

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