GRIFFONNADE 253 : Michel Tournier, intimité & extimité

Intimité & extimité

S'il parle volontiers de son travail d'écrivain, Michel Tournier reste peu bavard en ce qui concerne son for intérieur. Aurait-il trouvé dans Spinoza l'écho de sa pensée ou Spinoza lui aurait-il livré la pensée qu'il ne sert à rien de se laisser affecter par les événements, puisqu'il ne peut en être autrement (Atlas de la philosophie, Pochothèque) ? Même quand il évoque son enfance et son cheminement, il reste ferme : sa vie personnelle lui appartient. Qu'on lise ses oeuvres, qu'on parle de ses livres, mais qu'on laisse Michel Tournier tranquille. Son intimité n'intéresse que lui, et encore ! Il déclare ne désirer que trois choses : de l'or, de l'encens et de la myrrhe. L'or représente les droits d'auteur, l'encens les bonnes critiques et la myrrhe le passage à la postérité. Son Journal extime se pose aux antipodes des journaux intimes.

Intimité : caractère de ce qui est intérieur et profond, intérieur et secret. Est intime ce qui est contenu au plus profond d'un être, qui est tout à fait privé et généralement tenu caché aux autres. La vie intime est celle que les autres ignorent. L'intisme est un courant artistique où l'artiste prend pour sujet ses sentiments les plus intimes. Un journal intime cherche à pénétrer dans cette "cachette" et le publier autorise quiconque à entrer librement dans cet "espace privé".

Par analogie, que serait l'extimité ? Le caractère de ce qui extime, extérieur et à la surface, extérieur et apparent. Serait extime ce qui est en-dehors de l'être, qui est complètement public et spécifiquement visible par tous. La vie extime devient celle que chacune et chacun connaissent. L'extisme apparait tel un courant artistique où l'artiste prend pour objet les choses qui l'entourent. Un journal extime cherche donc à se dégager des ses propres affects pour aborder (forcer l'accès) le monde extérieur en commençant par le plus proche.

Selon Tournier, deux questions illustrent ces deux postures. La première : "Est-ce que dans ma vie j'ai eu de la chance ?" voilà une interrogation typiquement du côté de l'extime ; se placer du côté de l'intime impose la question : "Est-ce que j'ai été heureux ?" L'épitaphe gravée sur sa tombe (Je t'ai adorée, tu me l'as rendu au centuple. Merci la vie.) traduit combien il estimait avoir eu une existence privilégiée par le sort.