Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
GRIFFE DES MOTS
GRIFFE DES MOTS
Publicité
GRIFFE DES MOTS
Auteur : celui qui autorise !
Les droits d'utilisation de chaque texte publié ici restent propriété de son auteur. Donc aucun texte ne peut être copié ou utilisé à des fins commerciales sans l'assentiment de l'auteur. 
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
30 mars 2020

GRIFFONNADE 401 : Je m'encabane avec... (18)

126374788

Tuiles givrées par le froid, abricotiers en fleurs

Les matins de mars souvent regrettent l'hiver. Derrière les volets, une clarté hésitante, entre la perle grise et le pain bis. 

Je me retourne, une femme âgée est attablée. Je l'invite à quitter le banc et à s'asseoir sur une chaise pour profiter du dossier. Autrefois, dit-elle, j'aurais accepté pour ménager mes vieux os, désormais cela n'a plus aucune espèce d'importance.

Mon encabanement, pour la dix-huitième fois, produit un phénomène fantaisiste, étonnant et épatant : chaque jour des personnes surgissent à mes côtés, devant moi, de façon aléatoire. Seule Iris Murdoch, le 26 mars, se manifesta sans m'apparaître vraiment.

Je lui exprime mon embarras de reconnaître sa voix, son visage, le geste de sa main sans mettre le doigt sur son nom. Sur la fin de ma vie qui fut bien longue, je me suis penchée sur  le surgissement gratuit des souvenirs. Vous connaissez la question de Lamartine que l'on tronque trop souvent : "Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et sa force d'aimer ?" C'est une interrogation commune, si l'on peut dire, que partage la plupart des êtres au cours de leur existence. La manière avec laquelle le poète met en mots cette banale pensée nous surprend, nous émerveille et nous rassure. La tournure des vers, la cadence adoptée sort justement l'idée de sa banalité. J'ai consacré un petit livre où les objets, nos objets familiers - du moins les miens - conservent et restituent des souvenirs. Bien évidemment, ces objets ne sont dotés d'aucune machinerie magique. Les souvenirs sommeillent en nous et se réveillent au contact de l'objet sur lequel nous avons, un jour, fixé un instant passé. C'est pourquoi nous y sommes attachés.

Son nom, bon sang, son nom ? J'adore le ralentissement de sa diction sur le mot âme, l'accent circonflexe embellit alors la syllabe. Une femme littéraire, une de celles qui transmettent le goût des langues.

Les Roses de la solitude, continue-telle. J'aime, sans vanité le titre de ce petit livre. J'interviens : Michel Tournier, je crois, insistait sur le pertinence de la lettre R dans un titre. Vendredi ou les limbes du Pacifique, Les Météores, Le Roi des Aulnes, Le vent Paraclet, Le Coq de bruyère. Gilles & Jeanne, une exception !

Le sourire de ma visiteuse rivalise de malice avec son regard. Oui, cette femme possède une  autorité aimable. 

La mémoire, quand je suis devenue peu à peu une vieille femme aveugle, s'est jouée de moi. Un moment d'extrême insignifiance ranimait, sans aucune cause prévisible, un souvenir vivace avec l'intensité du présent. J'ai voulu témoigner de cette tardive expérience dans un autre livre, Les Révélations de la mémoire. Vous noterez les deux R...

J'ai lu et relu ces Révélations. Mais pourquoi son nom m'échappe-t-il ? Je lui présente ce que je sais du mécanisme de la mémoire. Je cite la chanteuse québécoise Paule-Andrée Cassidy qui affirme qu'il est plus facile de mémoriser un texte achevé dont on n'est pas l'auteur qu'un texte de notre cru car nous conservons le souvenir des hésitations bouillonnantes des différentes étapes du brouillon. Au moment de sa restitution les différentes versions s'entremêlent et la langue s'embrouille. 

Notre conversation se prolonge sur les mécanismes de conservation mnémonique. Nous distinguons la mémoire, faculté personnelle de se souvenir et la mémoire, ensemble des souvenirs individuels. Elle évoque Mnémosyne, mère des neuf muses grecques. Les Anciens lui attribuaient la maternité des mots, du langage. Une langue est toujours maternelle, jamais paternelle ! Encore cette étincelle malicieuse sur son visage. Pas de connaissance sans mémoire. 

Je lui soumets l'idée que ces jours de confinement seraient une occasion à la fois de réminiscence et de... Le terme réminiscence apporte une nuance de flou, d'imprécision, de fragment incomplet issu du passé, de sensation qui immerge sans être absolument reconnue comme souvenir. Je suis désolée de vous avoir coupé, qu'alliez-vous ajouter... une occasion de réminiscence et de... ? J'explique que, me semble-t-il (prudence oblige devant pareille personnalité) la souvenance, l'acte de lever le souvenir vaut autant que le souvenir lui-même. J'enchaîne : Depuis le décès de mon frère, j'ai cessé tout abandon nostalgique qui auparavant me revenait comme le cycle des saisons. Il me semble désormais posséder non l'image, les détails sensitifs du souvenir mais la description, la relation que j'en faisais en le racontant. Les mots, choisis pour décrire le souvenir, le détiennent ; il cesse ainsi de m'habiter.

Elle regarde à travers les vitres, soupire. J'ai écrit aussi quelques nouvelles. Dans l'une d'entre elles, Le Secret - encore un R - mon personnage principal, Anne, qui me ressemble sans être mon double, dit qu'elle évite de réveiller les souvenirs du passé. Elle craint d'éprouver plus de chagrin que d'apaisement. Apaisement ou douceur ? Je ne sais plus le terme que j'ai conservé. 

Un pas dans le couloir. Mon épouse arrive. Je guette la porte. A son ouverture ma visiteuse n'est plus là. Je cherche aussitôt le bouquin La mémoire révélée..., non, La révélation de..., Les révélations de..., Les Révélations de la mémoire. Ici, entre Pourquoi la Grèce ? et Le trésor des savoirs oubliés. Mince, c'était Jacqueline de Romilly

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité